Le 20 juillet 1969, alors que Buzz Aldrin et Neil Armstrong s’apprêtaient à marcher sur la Lune, un geste discret défia les attentes : Aldrin versa du vin dans un calice, réalisant la première communion extraterrestre. Un acte sacré, oui, mais aussi la première consommation d’alcool documentée dans l’espace. Depuis, la NASA interdit strictement les spiritueux à bord de ses missions. Pourtant, entre lignes de conduite et anecdotes insolites, une question persiste : les astronautes trichent-ils avec la gravité pour goûter à l’ivresse stellaire ?
Les astronautes peuvent-ils s’enivrer dans l’espace ?
L’anecdote d’Aldrin n’est pas un simple fait divers historique. Elle révèle une tension entre protocole et humanité. Autorisé par la NASA, ce vin symbolisait un réconfort spirituel, mais aussi une curiosité scientifique : comment se comporte un liquide en gravité lunaire ? Aldrin décrivit le ballet hypnotique des gouttes, une chorégraphie impossible sur Terre. Ironiquement, ce moment solennel devint la porte entrouverte vers un débat inattendu : l’alcool a-t-il sa place dans l’espace ?
Officiellement, l’agence spatiale américaine bannit toute boisson alcoolisée depuis les années 1970. Motifs invoqués ? Risques de vomissements en apesanteur, équipements sensibles aux vapeurs volatiles, et surtout, un impératif de clarté mentale. Pourtant, en coulisses, des projets audacieux ont flirté avec l’idée. Dans les années 1970, le sherry fut envisagé pour les missions Skylab. Stable chimiquement, il évitait les « rots humides » causés par les bulles de bière ou de soda, ces dernières restant bloquées dans l’estomac en microgravité. Mais face à l’indignation du public et aux réticences des astronautes, le projet fut abandonné.
Si la NASA joue les gendarmes, les cosmonautes russes ont, eux, cultivé une tradition clandestine. Dès les années 1980, du cognac voyageait secrètement à bord de la station Mir, dissimulé dans des sachets médicaux. Une astuce ingénieuse : pressés, ces sacs libéraient une sphère de liquide, happée à la paille. Chris Carberry, auteur d’*Alcohol in Space*, rapporte que ces moments étaient des parenthèses joyeuses durant les jours de repos. Mieux : lorsque des astronautes américains ou français visitaient Mir, ils se joignaient volontiers à ces agapes orbitales, malgré les réprimandes de Houston.
Alcool spatial : enjeux scientifiques et défis humains
La NASA justifie aujourd’hui son interdiction par des raisons techniques. L’alcool, volatile, pourrait endommager les circuits électroniques en formant des gouttelettes errantes. Même les parfums ou lotions après-rasage sont proscrits sur l’ISS. Pourtant, un rapport de 1985 soulignait un paradoxe : l’alcool, « drogue récréative », pourrait atténuer le stress des missions longues. Les auteurs reconnaissaient son rôle social dans des environnements hostiles, mais redoutaient son impact imprévisible en cas de conflits. Un équilibre délicat entre sécurité et santé mentale.
Boire en apesanteur n’a rien d’une partie de plaisir terrestre. Michael Foale, astronaute ayant séjourné sur Mir, décrit une absorption instantanée : « L’alcool envahit la bouche et le nez, comme une fumée. Puis la gorge brûle, sans la lenteur d’un verre au sol. » Une sensation éphémère, sans la chaleur d’une digestion normale. De quoi questionner l’intérêt même de l’ivresse spatiale : pourquoi risquer l’interdit pour un plaisir si fugace ?
Derrière ces enjeux se cache un choc culturel. Les Russes, moins rigoristes, voient dans le cognac un remède contre le mal de l’espace ou un lien avec la Terre. Les Américains, eux, brandissent des principes de productivité. Reste que les missions actuelles, plus longues et internationales, pourraient brouiller ces frontières. Avec l’arrivée de sociétés privées comme SpaceX, les règles pourraient évoluer. Elon Musk a déjà plaisanté sur l’envoi de whisky vers Mars…
Entre interdits stricts et cognac contraband, la relation des astronautes à l’alcool reflète une quête d’équilibre : contrôler l’imprévisible sans étouffer l’humain. Si l’ivresse spatiale reste marginale, elle symbolise un défi plus vaste : comment préserver notre humanité dans le vide sidéral ? Peut-être qu’un jour, un verre levé en orbite célébrera non plus un exploit technique, mais cette fragile part de nous-mêmes qui résiste à l’apesanteur.